Égypte : l’excision frappe encore 87 % des femmes, un fléau persistant dont on ne parle pas
Introduction
L’excision (mutilation génitale féminine, MGF/FGM) reste en Égypte l’une des pratiques les plus répandues au monde en nombre absolu de victimes. Malgré des progrès récents chez les plus jeunes générations, la pratique demeure profondément ancrée, partiellement « médicalisée » et inégalement combattue sur le terrain. Cet article rassemble les données clés, l’évolution récente, les facteurs culturels, les conséquences sanitaires et psychologiques, le cadre légal et les réponses (programmes gouvernementaux et ONG), avec les sources associées à chaque assertion.
1. Définition et types
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les grandes agences classent la MGF en quatre types (I à IV) allant de l’ablation partielle du clitoris (type I) à l’infibulation (type III) et autres pratiques dommageables (type IV). En Égypte, les types I et II sont les plus fréquents, même si des cas d’infibulation existent.
2. Échelle du phénomène — chiffres globaux et égyptiens (points clés)
- Nombre global : plus de 230 millions de filles et femmes excisées dans le monde (estimation UNICEF, rapport récent).
- Égypte — prévalence chez les femmes 15–49 ans : environ 87,2 % selon synthèses nationales et bases de données spécialisées — ce qui place l’Égypte parmi les pays comptant le plus grand nombre absolu de femmes excisées.
- Tendance générationnelle : la prévalence est en nette baisse chez les cohortes les plus jeunes — par exemple des études et bilans indiquent un recul significatif chez les filles adolescentes comparé aux femmes plus âgées. Un article de presse gouvernemental rapporte que la prévalence chez les filles 15–17 ans est passée à 37 % en 2021 (contre 61 % en 2014), chiffres annoncés par la ministre égyptienne lors d’une réunion nationale. Ces chiffres doivent cependant être interprétés avec prudence (sources officielles et méthodologies).
Ces cinq points (nombre global, prévalence 15–49 en Égypte, forte représentation absolue, tendance à la baisse intergénérationnelle, annonce ministérielle 37 %) sont parmi les plus structurants pour comprendre la situation en Égypte.
3. Qui pratique l’excision en Égypte ? (médicalisation)
Une spécificité égyptienne largement documentée est la médicalisation de la MGF : une proportion élevée d’interventions est réalisée par des agents de santé (sages-femmes, infirmières, médecins), ce qui donne une apparence de « sécurité » mais ne supprime ni le caractère iatrogène ni les conséquences à long terme. Des rapports et enquêtes indiquent qu’un pourcentage élevé — parfois estimé autour de 70–75 % dans certaines études — des procédures est effectué par des professionnels de santé. Cette médicalisation est un obstacle car elle légitime la pratique aux yeux de certaines familles.
4. Répartition géographique et sociodémographique
- Zones rurales / Haute-Égypte : prévalence plus élevée dans la Haute-Égypte (Upper Egypt) et dans les zones rurales que dans les grandes villes et le delta.
- Niveau d’éducation et richesse : la probabilité d’excision est corrélée au niveau d’éducation de la mère, au milieu rural et à des facteurs socio-économiques — les filles de mères moins éduquées et de ménages pauvres sont plus à risque.
5. Âge de réalisation
En Égypte, la MGF est souvent pratiquée avant la puberté, parfois dans la petite enfance, mais l’âge exact varie selon les régions et traditions locales. Des campagnes de sensibilisation visent notamment les parents de jeunes filles, car l’intervention est fréquemment réalisée très tôt, ce qui réduit les possibilités d’intervention tardive.
6. Conséquences sanitaires et psychologiques
Les conséquences sont multiples et documentées :
- Physiques immédiates : douleur sévère, hémorragie, infections, choc.
- Complications à moyen/long terme : kystes, douleurs chroniques, dyspareunie (douleurs lors des rapports), complications obstétricales (plus de risques lors de l’accouchement), infertilité possible dans certains cas.
- Psychologiques : traumatisme, anxiété, dépression, troubles relationnels et sexuels.
Ces effets sont rappelés dans la littérature médicale et par les agences internationales.
7. Cadre légal et mise en œuvre de la loi en Égypte
- Interdiction et lois : la MGF est formellement interdite en Égypte — mesures et lois ont été introduites dès 2007 (décret) puis renforcées dans les années suivantes par des textes pénaux.
- Application inégale : malgré l’existence de textes, l’application est souvent faible, surtout dans les zones éloignées. Le passage en milieu médical a aussi complexifié les poursuites (difficulté d’identifier les auteurs, acceptation locale, etc.).
8. Pourquoi la pratique perdure ? (facteurs explicatifs)
- Normes sociales : transmission culturelle et socialisation — la MGF est parfois perçue comme une condition du mariage, de la « propreté » ou de la moralité féminine.
- Pression communautaire et familiale : la peur de stigmatisation ou d’exclusion sociale pousse à continuer.
- Médicalisation : la réalisation par des professionnels réduit la perception du risque et normalise la pratique.
- Inégalités d’accès à l’éducation : le niveau d’éducation (surtout féminin) reste un facteur protecteur ; son absence maintient la pratique.
9. Évolutions récentes et trajectoire (données temporelles)
- Les analyses par cohorte montrent une baisse progressive de la pratique chez les cohortes nées plus récemment (travaux académiques et enquêtes démographiques).
- Annonce officielle 2021 : comme indiqué plus haut, le chiffre communiqué par le gouvernement pour les filles 15–17 ans en 2021 est de 37 % (contre 61 % en 2014). Il s’agit d’un signal fort mais il convient d’examiner la méthodologie, l’échantillonnage et l’actualisation des données (les recensements/DHS antérieurs restent des références).
10. Réponses institutionnelles et programmes de lutte
- UNFPA-UNICEF Joint Programme — programmes nationaux d’accélération pour l’élimination de la MGF, financement d’appui aux communautés, formation et prise en charge des victimes.
- ONG locales et internationales : campagnes de sensibilisation, accompagnement juridique, soutien psychologique, mobilisation religieuse (fatwas / prises de position d’imams favorisant l’abandon).
- Initiatives gouvernementales : comités nationaux, campagnes médiatiques et collaborations multisectorielles (santé, éducation, justice). Les bilans officiels mettent en avant des baisses chez les plus jeunes mais signalent l’ampleur de l’effort restant à fournir.
11. Obstacles majeurs à l’élimination
- Persistance des normes sociales et familiales.
- Médicalisation qui renforce une forme de légitimation.
- Application juridique inégale, manque de ressources dans certaines régions.
- Croissance démographique : même si les taux baissent, le nombre absolu de filles exposées reste élevé à cause de la croissance démographique.
12. Recommandations (fondées sur la recherche et bonnes pratiques)
- Renforcer les programmes d’éducation des mères et des communautés, en ciblant les chefs traditionnels et religieux.
- Dénormaliser la médicalisation : former et sanctionner les professionnels de santé qui pratiquent la MGF, et proposer des alternatives légales et médicales pour la prise en charge des séquelles.
- Améliorer l’application de la loi : procédures claires, protection des dénonciateurs/victimes, suivi local.
- Soutien psychologique et soins spécialisés pour les survivantes (prise en charge gynécologique, obstétricale, psychologique).
- Collecte et transparence des données : enquêtes régulières, par gouvernorat, avec publication accessible des résultats.
13. Ressources et sources (liens vers les documents cités)
- UNICEF — fichier factuel & statistiques sur la MGF (global).
(https://data.unicef.org/topic/child-protection/female-genital-mutilation/) - FGM/C Research Initiative — fiche pays Égypte (prévalence 15–49 = 87.2 %).
(https://www.fgmcri.org/country/egypt/) - UNFPA-UNICEF Joint Programme — rapport/feuille d’activités Égypte 2021.
(https://www.unicef.org/media/128176/file/FGM-Egypt-2021.pdf) - Article de presse — annonce ministérielle (Ahram English) : baisse à 37 % chez les filles 15–17 en 2021.
(https://english.ahram.org.eg/News/548328.aspx) - UNFPA — article sur la médicalisation en Égypte (analyse et témoignages).
(https://www.unfpa.org/news/when-health-workers-harm-medicalization-female-genital-mutilation-egypt) - Études académiques / analyses cohortes (BMC Women’s Health — déclin depuis 1987 ; autres articles).
(https://bmcwomenshealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12905-020-00954-2) - Revue WHO / EMRO : document sur la médicalisation en Égypte (2009).
14. Conclusion
L’Égypte illustre la complexité d’un phénomène où progrès et persistance coexistent : d’un côté une baisse mesurable chez les plus jeunes et un engagement institutionnel ; de l’autre, une pratique encore largement répandue, médicalisée et soutenue par des normes sociales. Éradiquer l’excision en Égypte exigera donc une approche multidimensionnelle — légale, éducative, sanitaire et culturelle — soutenue dans la durée, avec des données locales fines pour piloter l’action.
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