Moins d’enfants pour mieux gagner : le lourd compromis des femmes face aux inégalités salariales
Malgré les discours récurrents sur l’égalité professionnelle, les chiffres rappellent une réalité obstinée : les femmes continuent de gagner nettement moins que les hommes. Et si, à première vue, l’écart s’est réduit au fil des décennies, la cause principale de cette évolution en dit long sur les sacrifices imposés aux femmes : elles ont eu moins d’enfants.
L’écart qui persiste malgré les décennies de progrès
En France, les statistiques de l’Insee pour 2023 montrent que les femmes employées dans le secteur privé perçoivent en moyenne un revenu salarial inférieur de 22,2 % à celui des hommes. Aux États-Unis, selon les données de 2024, chaque heure travaillée par une femme ne rapportait que 85 % de celle d’un homme.
Un progrès certain, si l’on se souvient qu’au milieu des années 1980, les Américaines ne touchaient que 65 % du salaire horaire masculin. Mais ce rapprochement est trompeur : il ne reflète pas une amélioration structurelle de la reconnaissance du travail des femmes.
La maternité : un « coût caché » pour les femmes
Les travaux menés par Alexandra Killewald et Nino Cricco, chercheurs à l’université du Michigan, mettent en lumière un mécanisme bien documenté par la sociologie du travail : la « pénalité de maternité ».
Dès lors qu’une femme devient mère, ses perspectives de carrière et de progression salariale ralentissent, voire s’arrêtent. Plus le nombre d’enfants est élevé, plus la perte financière est marquée. Les congés maternité, la réduction du temps de travail, mais aussi les stéréotypes qui persistent chez les employeurs (moins disponibles, moins « investies », moins mobiles) expliquent en grande partie ce décrochage.
À l’inverse, les hommes bénéficient souvent d’un « bonus paternel ». Plusieurs études, notamment de l’OCDE, ont montré que devenir père est perçu positivement par les employeurs : signe de stabilité, de responsabilité, voire de motivation accrue à « subvenir aux besoins de la famille ». Résultat : les pères voient leur rémunération progresser plus rapidement que leurs collègues sans enfants.
Une inégalité mondiale, mais des écarts variables
Si les États-Unis et la France illustrent bien ce paradoxe, le phénomène est observable partout. En Allemagne, où les congés parentaux sont longs mais principalement utilisés par les femmes, l’écart de rémunération entre mères et pères est particulièrement marqué.
Les pays nordiques font figure d’exception relative. En Suède ou en Islande, les congés parentaux sont conçus de manière plus égalitaire, avec une partie non transférable réservée aux pères. Cette mesure incite les hommes à s’investir davantage dans les premiers mois de la vie de l’enfant et réduit mécaniquement la charge qui pèse sur les femmes. Résultat : l’écart salarial existe toujours, mais il est moins profond et évolue plus lentement.
Un dilemme personnel et collectif
Derrière les statistiques se cachent des choix de vie lourds de conséquences. Beaucoup de femmes, conscientes de l’impact de la maternité sur leur carrière, décident de retarder ou de limiter les grossesses. Cette stratégie, bien que rationnelle d’un point de vue financier, révèle une inégalité structurelle : pour progresser professionnellement, les femmes doivent renoncer, au moins en partie, à leur projet familial.
À l’échelle collective, cette tendance interroge sur le vieillissement des sociétés occidentales. Car encourager la natalité tout en maintenant un système professionnel qui pénalise la maternité constitue une contradiction majeure.
Des politiques encore timides
Les sociologues américains appellent leur gouvernement à agir. Mais les réponses politiques sont souvent limitées à des incitations financières ou à des aides ponctuelles à la garde d’enfants. Or, tant que la maternité sera perçue comme une faiblesse professionnelle et que la paternité restera valorisée, l’écart perdurera.
Des pistes existent pourtant :
- Valoriser le congé paternité obligatoire et allongé, pour répartir réellement la charge de la parentalité.
- Lutter contre les discriminations invisibles lors des promotions et des augmentations.
- Mettre en place des horaires et modes de travail plus flexibles, pour tous et non seulement pour les mères, afin de normaliser l’articulation entre vie professionnelle et familiale.
Une question de société, pas seulement d’entreprise
L’inégalité salariale entre les sexes ne peut pas être résolue uniquement par les entreprises. Elle s’enracine dans une vision plus large : la valeur accordée au travail domestique, la répartition des tâches familiales, les stéréotypes persistants sur ce que signifie « réussir » en tant qu’homme ou en tant que femme.
Tant que les femmes devront réduire le nombre d’enfants pour réduire l’écart salarial, la société continuera d’envoyer un signal clair : maternité et réussite professionnelle sont incompatibles.
Source : elle.fr
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